Quand François Rabelais dit « le rire est le propre de l’homme », on comprend bien entendu qu’il parle de l’humanité… Mais la question mérite quand même d’être posée : est-ce que femmes et hommes sont égaux face au rire ? Pour en avoir le cœur net, jetons un œil aux chiffres et à la littérature scientifique sur le sujet.
C’est qui, le plus drôle ?
Selon une très sérieuse méta-analyse brassant les résultats de 28 études parues au cours des 40 dernières années, il y a un différentiel de 32% entre la capacité perçue des hommes à faire rire et celle des femmes. Autrement dit, les hommes sont réputés nettement plus marrants que les femmes. Ça, ce sont les hommes qui le disent, mais les femmes aussi.
Voilà qui accrédite la thèse de l’essayiste Christopher Hitchens qui en 2007 signait dans Vanity Fair un article au titre provocateur : « Why women aren’t funny » (notez l’absence de points d’interrogation).
Femme qui rit…
Pour Hitchens, la raison pour laquelle les femmes ne sont pas drôles alors que les hommes le sont est à chercher du côté des lois de la reproduction. En compétition les uns avec les autres pour séduire les femmes, les hommes auraient besoin de manifester qu’ils sont beaux, forts et intelligents et l’humour ferait précisément partie des plus irrésistibles manifestations de l’intelligence.
Quant aux femmes, eh bien, puisqu’elles n’auraient pas d’autre rôle dans ce jeu-là que de se laisser séduire et cueillir, le cycle de l’évolution ne les a pas amenées à exercer les compétences de la drôlitude.
Euh… Vous avez le droit de trouver ces explications tout à fait risibles… Et franchement dépassées.
L’humour en contexte
Plus crédibles sont les travaux qui interrogent la place du rire dans les socialisations. Où l’on découvre, sans grande surprise, que l’humour est foncièrement culturel et que ce qui fait rire ici et maintenant n’est pas forcément ce qui faisait rire hier et ailleurs, sans qu’on sache ce qui fera rire demain.
Autrement dit, rien n’est drôle en soi mais l’humour est toujours inscrit dans un contexte et un système de références. Il n’est donc pas absurde qu’en contexte patriarcal, l’humour étant perçu comme une qualité relative à la capacité d’agir sur son environnement, il soit plus volontiers rangé du côté de la masculinité. Et il n’est pas étonnant non plus que dès l’enfance, les petits garçons soient valorisés et encouragés quand ils font les pitres tandis que les petites filles sont attendues sur la patience, l’écoute et l’intérêt porté aux autres plutôt qu’à leur propre mise en avant. Merci les stéréotypes !
Le pouvoir du rire
Mais faire rire, ce n’est pas que manifester de l’esprit et de l’audace, c’est un vrai pouvoir ! Un acte résolument subversif, nous dit l’historienne Sabine Melchior-Bonnet dans son ouvrage Le rire des femmes – Une histoire de pouvoir : le rire c’est d’abord physiquement une mise en mouvement de tout le corps (pas exactement raccord avec l’idée de la femme décorative et discrète) mais aussi et surtout un acte émancipateur.
Selon l’autrice, rire c’est s’emparer du réel pour poser dessus un regard ironique voire franchement contestataire et substituer aux récits conventionnels un imaginaire personnel. Mais il est aussi question de se positionner dans son environnement en témoignant de sa présence active et en embarquant avec soi celles et ceux que l’on fait rire.
Quand les femmes rient entre elles
Pas surprenant, dans ces conditions, poursuit l’historienne, que l’on se soit longtemps méfié des femmes qui rient entre elles. Tant et si bien qu’alors même que dès ses débuts, le mouvement féministe est traversé par l’humour dont il fait l’une des plus tranchantes de ses armes de combat, on le fera passer pour sévère, revêche, rabat-joie et collé au premier degré.
Que les femmes rient des blagues des hommes, ça va. D’ailleurs, en riant, elles les flattent et ça paye, si on en croit les résultats d’une étude suisse indiquant qu’une candidate augmente ses chances d’être embauchée si elle rit pendant un entretien avec un recruteur. En revanche, que les femmes rient sans les hommes, c’est tout de suite moins bien vu !
Vers une nouvelle ère du rire ?
Mais les temps ont l’air de vouloir changer. Tandis que l’humour sexiste des boys club semble faire beaucoup moins rire, à moins qu’il ne se heurte carrément à un déplacement du seuil de tolérance sociale aux grossièretés, l’humour des femmes pourrait être en train de gagner en reconnaissance.
La très récente étude Think funny, think female : the benefits of Humour for Women’s influence in the digital age portant sur les conférences Ted et les pitchs des start-ups indique que l’humour deviendrait un atout de poids pour les femmes leaders. Celles qui osent être drôles remportent davantage d’adhésion et exercent plus d’influence que celles qui ne jouent que la carte du sérieux. Mieux encore : être drôle donne à ces femmes un avantage sur leurs concurrents masculins.
La femme serait peut-être bien l’avenir du rire… Sinon l’avenir de l’homme !
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